Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Rai : intégrale » T2 par Clayton Crain, Cafu, et Matt Kindt
On connaît déjà ici la qualité haut de gamme de la plupart des titres du catalogue Valiant/Bliss. Avec ce deuxième et dernier tome de « Raï », c’est à un niveau encore supérieur, parmi les plus hauts du médium, qu’il faut s’attendre, tant au niveau graphique que scénaristique. Immersion immédiate !
Je n’avais pas lu le premier tome de « Raï ». Celui-ci avait d’ailleurs paru une première fois chez Panini comics en 2015 (2 tomes pour les épisodes 1 à 8). Mais cela n’est pas particulièrement dérangeant. En effet, un résumé illustré de quatre pages est proposé en ouverture de volume (dessins de David Mack).
Nous sommes en 4001. Le Japon est désormais un satellite en orbite autour de la terre. En effet, l’intelligence artificielle qui était au cœur de la gouvernance de cette dernière super nation : Père, est devenue consciente. Celle-ci veut protéger le Néo-Japon de toute menace et l’arrache à la Terre en faisant du pays une méga structure orbitale. Une paix relative règne à sa surface, sous le joug de cette entité despotique, d’une super police robotique, et de vidéo surveillances. D’ailleurs, tous les cent ans, Père se sert d’un cobaye humain, femme ou homme pour fabriquer une créature cyborg qui assurera la sécurité : Raï. Un jour, cependant, l’un d’entre eux s’est émancipé et a commencé à se poser des questions. Arpentant les différents secteurs du Néo-Japon, ce dernier a fait connaissance avec Lula, une jeune humaine qui lui a révélé son origine biologique et la mort de sa mère. À eux deux, ils ont fomenté alors une rébellion contre Père, arrivant même à introduire un virus dans sa structure, ce qui a valu à Raï d’être exilé sur Terre.
La planète, flétrie par des milliers d’années de dérèglements (climatiques, et de guerres), va lui fournir les éléments de son projet de reprise du contrôle, à l’aide d’une poignée d’humains, dont le Guerrier éternel. Pendant ce temps, Père, constatant les dégâts provoqués par le virus sur différents secteurs, n’hésite pas à se séparer de ceux-ci, tels des membres gangrenés, en les projetant dans le vide, vers la Terre, condamnant des milliers d’habitants. Raï va néanmoins trouver le moyen de regagner la station orbitale, pour un combat qui s’annonce épique.
Ce gros tome de 320 pages est ce qu’on appelle : un must-have. C’est-à -dire un album à posséder impérativement, si ce n’est à lire à tout prix, plus simplement. Se servant des meilleurs aspects de science-fiction, et ajoutant la dose cybernétique nécessaire, par le truchement d’une culture japonaise de surcroît, Matt Kindt, déjà scénariste chez Valiant de « Divinity », « Unity », « Ninjak » et « Valiant », impose un récit époustouflant, mariant aventure sur une terre dévastée, combats et conflits géopolitiques version space opera, le tout dans une ambiance très moderne liée aux intelligences artificielles. On peut aussi parler philosophie avec les liens de filiation qui nous sont proposés, entre le père et ses fils, ramenant aux questionnements actuels sur les évolutions de la conception. Du point de vue politique, la notion de confiance, de pouvoir et d’obéissance est aussi abordée de manière frontale, tout comme le racisme, la peur, et la relation avec nos futurs congénères : les cyborgs. L’action est toujours mêlée à la réflexion avec un savant dosage, rendant le récit très immersif.
À propos du (des) dessin(s), on est tout d’abord époustouflé par les « peintures » informatiques de Clayton Crain, sur les chapitres 1 à 4 de « Rai 4001 AD » : impressionnantes de fluidité et de réalisme, sans compter leurs couleurs, somptueuses.
Le récit principal est suivi d’un Free Comic Book Day de « Raï » : « Le Déchu », prologue à ce premier, dessiné par Clayton Henry, puis 4 épisodes « Raï : aux origines » par Cafu et Andrew Dalhouse (coloriste). Dans ceux-ci, l’auteur nous dévoile les origines du premier Raï, en 3001, 900 après avoir quitté la Terre, puis celles de ses frères et sœur venus ensuite. Une manière de bien raccrocher au premier épisode du volume, en une sorte de flash-back plutôt bien senti.
Quatre derniers épisodes nous proposent « Au-delà du Néo-Japon », la vision 4001 AD de héros de l’univers Valiant : « Xo Manowar », « Bloodshot », « Shadowman » et « War Mother » ;
« L’Envol des X-OS » (« 4001 AD Xo Manowar #1 ») — scénario de Robert Venditti, dessin Clayton Henry — explique l’avenir de l’armure, après la mort du héros (comme vu dans « Book of Death »), qui va servir à propulser Raï vers le Néo Japon.
« 4001 AD Bloodshot #1 » : scénario de Jeff Lemire, dessin de Dough Braithwaite, raconte de la même manière l’avenir des nanites et de son hôte à la suite de son décès (idem précédemment).
« La Mort et le futur » (« 4001 AD Shadowman #1 ») nous présente quant à lui l’univers de ce héros précédemment publié dans deux recueils (Panini 2014) (1), mais pas franchement bien accueilli par la critique. Le récit qui nous est dévoilé ici (scénario : Jody Houser/Rafe Roberts et dessins de Robert Gill) offre davantage de saveur, et devrait permettre de peut-être faire redémarrer la série sous de meilleurs auspices. Cet épisode est introduit par un résumé, où l’on découvre : Gethsemane, la ville humaine qui s’est développée à côté de l’avant poste reliant le Monde des morts, une dimension parallèle ayant envahi la Terre il y a des siècles.
Les humains qui envoient chaque année trois orphelins derrière le mur sont divisés, pour savoir s’il faut combattre une bonne fois pour toutes les démons vivant derrière, ou continuer à faire allégeance. Mais ceux qui prêchent le combat ne souhaitent-ils que le bien-être de leur peuple ? Un scénario dynamique, un dessin de Robert Gill agréable, et une fin ouverte donnent le goût d’une suite.
« Une fille et son flingue » (« 4001 AD War Mother #1 »), enfin, dévoile un épisode mettant en lumière la jeune femme, guerrière : Ana, reine des Charos, peuple vivant sur terre, dans l’hémisphère sud, de récupération de diverses matières. Ce jour-là , c’est un secteur entier du Néo — Japon qui s’écrase, offrant la possibilité de récupérer des métaux rares et des parties électroniques. Mais à bord de celui-ci a survécu un enfant. Or, la loi du Bosquet, la cité d’où vient Ana, a une règle : « Ne revient avec rien de vivant. »
Là encore, on découvre un dessin tout à fait intéressant : celui de Tomas Giorello, sur un bon scénario de Fred van Lente, prometteur pour la suite.
Finalement, « Raï : intégrale », gros volume bourré de talents et d’inventivité, conclu par de nombreuses pages de croquis et de couvertures variantes, se pose comme un album incontournable des éditeurs Bliss/Valiant, et un comics à part, parmi les meilleurs de sa génération, tous styles confondus. Chaudement recommandé aux amateurs de science-fiction.
À noter, parmi les parutions Bliss parues ce début d’été, les deux autres bons titres suivants :
« Eternal Warrior, la colère du guerrier éternel » par Raul Allen, Juan Jose Ryp, Robert Gill, Robert Venditi
Avec « Wrath of the Eternal Warrior » (titre américain), Robert Venditi nous invite dans l’intimité de celui qui, à chaque mort, doit quitter son paradis et sa famille et franchir inlassablement le royaume des enfers afin de revenir à la vie. Dans les quatre premiers numéros de cet épais volume en regroupant 14 consacrés exclusivement à ce héros immortel, on assiste d’abord à sa résurrection. Sa famille nous est à l’occasion présentée. Sa femme : Leena, et ses trois enfants : Timeus, Eveleene et Kalam. Ensuite, c’est le chapitre nommé « Le labyrinthe » qui nous est proposé, où Gilad se réveille emprisonné dans un complexe ultra moderne construit sous terre expressément pour lui, afin de comprendre et lui arracher son pouvoir de résurrection. Enfin, « Un pacte avec le diable » expose comment le Guerrier éternel va s’associer avec le démon : l’Énorme, contre le Berger pâle, autre démon hantant les enfers qu’il traverse, et s’associer à l’occasion avec son fils aîné. Un régal scénaristique et graphique, dans un épais volume de 392 pages.
« Ninjak Tome 3 : Opération : Au-delà  » par Doug Braithwaite, Juan José Ryp, Robert Gill et Matt Kindt, Peter Milligan.Â
Ce serait mal le connaître d’imaginer que Colin King, agent du MI6 connu sous le nom de code Ninjak est juste un gars super entraîné connaissant parfaitement les techniques ninja. Lors de précédentes histoires, il a déjà prouvé sa faculté d’adaptation aux situations extrêmes. L’occasion de combats contre, puis auprès de Xo Manowar, lui a aussi permis de perfectionner ses techniques. Dans cet épisode, il va faire équipe avec Punk mambo, une jeune adepte de magie un peu olé olé, dont on nous présente les origines en fin de tome (2). Tous deux vont s’introduire dans le fameux monde des morts de l’univers Valiant (cf « Shadowman ») justement pour combattre celui que l’on a un jour nommé : la Pie. Bon épisode magnifiquement dessiné par le maintenant moins rare mais toujours aussi excellent Doug Braithwaite, tandis que les inserts « La Légende de la pie » le sont par le non moins talentueux Juan José Ryp (« Bloodshot Reborn »).
Franck GUIGUE
 (1) Ces deux albums de « Shadowman » sont à nouveau disponibles chez Bliss depuis 2016, mais sous format numérique uniquement.
(2) « Punk Mambo : naissance d’une teigne » est scénarisé par Peter Milligan et dessiné par Robert Gill.
« Rai : intégrale » T2 par Clayton Crain, Cafu, et Matt Kindt (et Divers)
Editions Bliss Comics (28 €) — ISBN : 9 782 375 780 954